• Chapitre 1
    Fictions
    Les violons d'hiver
    nanashi-san

    Chapitre 1 "Les violons d'hiver" par nanashi-san
    Les $$$ marquent le changement d'époque

    >J'ai du m'assoupir un peu car je ne t'ai pas senti bouger. Tu es maintenant sur le dos et moi contre ton flanc, ma main n'a pas quitté ton torse. Je sens mes joues brûler quand je me rends compte qu'une de mes jambes s'est glissée sur ta cuisse et, surtout, que mon bassin pressé contre ta hanche n'est pas tout à fait dans un état normal. Hyper gêné, j'essaie de me dégager mais le frottement engendré par la manœuvre me fait un tel effet que j'en pousse un cri entre le glapissement et le gémissement.

    Inquiet du bruit, je cesse de remuer en croisant les doigts pour que tu ne te réveilles pas. J'ai terriblement chaud, et un peu mal... en bas. Je prends le parti de ne pas trop remuer en attendant que ça passe. Par contre, mes doigts n'en font qu'à leur tête et recommencent à caresser ta peau, jouant distraitement avec les quelques poils qui poussent sur ton torse.

    Par inadvertance, j'effleure ton téton gauche, et une nouvelle étincelle traverse mon ventre faisant remuer mes hanches contre toi. Cette fois, je me mords la lèvre pour ne pas faire de bruit.

    C'est... un peu douloureux, mais aussi très agréable ; un peu trop pour mes neurones adolescents sans nul doute. J'ai beau ne pas arrêter de me dire que ça n'est pas bien, je n'arrive pas à empêcher mon corps d'en vouloir plus. Et plus mes hanches se pressent contre toi, plus les sensations sont fortes et moins j'arrive à me contrôler.

    J'ai peine à empêcher ma main de se crisper sur ton flanc, mon esprit embrouillé est encore assez lucide pour ne pas oublier que si je te griffe, je suis foutu. Quand je sens que mes mouvements se font trop pressants, ma peur de te réveiller se fait plus forte que mon envie de toi et je me détache prestement de ton corps pour me tourner face contre le matelas.

    Mais mon sexe est trop douloureux pour que n'y fasse rien, je glisse ma main dans mon slip et me caresse le plus discrètement possible. Je sens le goût de mon sang se répandre sur ma langue alors que, plus bas, un autre fluide fait de même dans ma main.

    Je me dégoûte.

    .

    Je me lève et vais immédiatement laver ma main poisseuse. Je suis vraiment...

    _ Immonde. Je n'aurais jamais du faire ça...

    Je vais chercher un gant, une serviette et des vêtements propres dans ma valise puis me lave rapidement. Il est treize heures, et j'ai faim. J'hésite à utiliser la 'cuisine' d'Alexandre sans permission puis décide que c'est toujours moins pire que ce que j'ai déjà fait. Et puis nous préparer un repas chaud sera une façon de m'excuser, même si tu ne le sauras jamais. Enfin, je l'espère.

    Alors, qu'y a-t-il de mangeable dans ce frigo ? Des saucisses Knacky. Bien, mais ça va pas suffire...

    Dans les étagères branlantes qui te servent de garde manger, je trouve des pommes de terre et des oignons. Hum, parfait !

    Rien de tel que des petites patates sautées aux oignons et saucisses pour se caler l'estomac. D'abord, faire bouillir l'eau pour cuir les pommes de terre. Aie, c'est quoi ça ? Un réchaud à gaz mon chéri. Oké d'accord...

    Je bataille donc quelques minutes pour trouver comment cette chose fonctionne puis mets une casserole pleine d'eau sur le feu. J'ai donc une petite demi heure avant que les tubercules ne soient cuits.

    Je regarde autour de moi me demandant quoi faire quand je remarque une liasse de papier noirci de portées sur la 'table du salon'. Cette fois, je n'hésite pas à jeter un œil ; après tout, ne m'as-tu pas parlé de tes compositions hier en souhaitant les faire jouer par quelqu'un qui possèderait une meilleure technique que la tienne ?

    Et même si ton amour de la musique est sans nul doute plus vaste que le mien, je suis meilleur que toi un archet à la main. Je pose donc ma montre dans mon champ de vision et me plonge dans le déchiffrage de ces lignes de notes en essayant de visualiser la façon dont je les jouerais.

    Mon œil dérive régulièrement vers mon violon ; essayer de jouer tes mélodies me démange presque autant que de te toucher tout à l'heure.

    Je jette un coup d'œil vers toi mais me détourne rapidement, de peur d'être à nouveau tenté.

    La nuit tombe et les badauds commencent lentement mais sûrement à se disperser. Nous finissons le morceau entamé et je te vois baisser ton archet, tes doigts sont rouges de froid.

    Je prends une longue inspiration et repose le crin sur les cordes ; il me reste un dernier morceau à jouer. Pour une fois, je garde les yeux grands ouverts alors que les premières notes s'écoulent dans l'air froid.

    Je souris à ton air surpris, à la joie que tu ne cherches pas à dissimuler, et surtout à l'attente fébrile qui monte dans tes yeux.

    Ce morceau, il est de toi. Il est magnifique, mais tu n'as jamais réussi à le finir, faute de savoir le jouer. Tu me l'avais donné en me laissant le soin de l'achever. Je l'ai fait, et je l'ai joué. En réalité, c'est avec ce morceau que j'ai passé mon dernier examen, mais toi, tu ne l'as jamais entendu.

    Je sens ton impatience grandir alors que je m'approche de la fin de ce que tu avais écrit. J'avoue ne pas en mener large non plus, je crains que tu n'apprécies pas ma contribution à ton œuvre.

    ...

    Je suis en train de faire fondre les oignons quand je sens tes mains se poser sur mes épaules, puis ton souffle contre ma joue m'apprend que tu te penches par-dessus mon épaule pour regarder ce que je fais.

    _ Mmm... Ça sent bon !

    _ Alors tu peux mettre la table, j'ai bientôt fini.

    _ Je veux bien, mais elle est occupée par les partitions que tu as étalées.

    Je rougis sous le ton gentiment moqueur et me mordille la lèvre ;

    _ Désolé, j'ai pas pu résister.

    Tu m'ébouriffes les cheveux, comme une habitude que j'adore déjà.

    _ Pas de soucis, et comme ça, tu pourras me dire ce que t'en penses pendant qu'on mange.

    Puis tu t'éloignes pour sortir les couverts alors que je mets les pommes de terre à rissoler.

    J'entends ton ventre gargouiller bruyamment alors que j'apporte la sauteuse 'à table'. Puis c'est le mien qui fait un drôle de bruit et nous éclatons de rire. Tu fais le service tandis que je vais remplir les verres de Château LaPompe.

    On peut dire qu'il n'y a pas de fainéant à table ; 8 saucisses, 5 grosses pommes de terre et 2 oignons. Il n'en reste plus, pas même un bout d'oignon perdu.

    _ Pas très courant comme repas de Noël, mais divin !

    Ta réflexion me fait rire et me réchauffe le ventre.

    _ Au fait, tu as bien dormi ? Pas eu trop froid ?

    Je bloque un court instant avant de prendre les assiettes et de débarrasser en lui assurant que j'ai très bien dormi. Ce qui est vrai, même si ma nuit fut aussi très courte.

    _ Et toi, ça allait ? Je t'ai pas trop embêté ?

    Je me plonge dans la vaisselle en disant cela ; j'ai déjà du mal à garder une voix normale, alors impossible de ne pas virer à l'écarlate.

    _ Pas à me plaindre, pour une fois que j'ai le chauffage gratuit.

    _ Hey !

    Tu ris et m'ébouriffes de nouveau les cheveux. C'est une manie chez toi ?

    .

    _ Laisse tomber les casseroles Théo, viens plutôt par là.

    Tu m'entraînes vers la table basse et étale de nouveau tes compositions dessus.

    _ Alors, laquelle tu veux me jouer ?

    _ Mais, je ne les connais pas ! Ce sont tes compositions.

    _ J'ai envie de t'entendre les jouer.

    C'est moi ou tu es en train de me faire du charme ?

    _ Avec un alto ? Ça risque de rendre bizarre...

    Tu insistes pour que je joue, et je capitule. Je choisis donc une partition joyeuse avec une pointe de mélancolie, tout à fait adaptée à la saison, qui m'a parue un peu bizarre tout à l'heure.

    Je tâtonne un peu, le temps de prendre mes marques. En attendant, tu tires un des coussins de sol contre le mur et t'avachis dessus, adossé au mur, les jambes légèrement repliées.

    J'ai la vision flash de moi, nu, assis à cheval sur toi dans cette position, nu aussi.

    Mon violon n'a jamais fait un aussi horrible son...

    Tu grimaces en riant.

    _ C'était quoi ça ? On aurait dit mon chat le jour où je lui ai coincé la queue dans la fenêtre.

    _ Pauvre bête !

    _ C'était un ac-ci-dent !

    _ Martyriseur de chat ! » je lui agite un archet menaçant sous le nez.

    _ Joue !

    Alors je joue, puis je donne mon avis, propose des variantes et les joue aussi. Tu m'écoutes, tu acceptes ou tu refuses mes propositions. Tu m'écoutes comme on ne m'a jamais écouté, comme si mon avis valait quelque chose.

    Puis tu tires une autre partition d'une poche de ta serviette et me demandes d'essayer de la jouer. Je prends le papier tendu et jette un œil dessus ; bigre, elle est coton à jouer celle là. En plus, elle n'est pas finie.

    _ Je n'y arrive pas.

    _ Pardon ?

    _ Je n'arrive pas à la finir, il y a un truc qui coince quelque part, mais comme je ne suis pas assez doué pour la jouer, je n'arrive pas à avancer.

    Je suis surpris par cet aveu. Quoi que, à bien y réfléchir, tu manques peut être un peu de dextérité pour jouer les cascades de notes couchées sur ce papier. Avec du temps et beaucoup d'entraînement, je devrais pouvoir jouer ça, mais là, malgré mes nombreux essais, je n'y arrive pas et m'emmêle les doigts.

    .

    Je n'ai pas vu une partition me résister autant depuis ma troisième année de solfège ; ça me frustre au plus haut point. Je préfère renoncer avant de faire un malheur et te rends la partition.

    _ Désolé, il me faudrait sûrement deux ou trois semaines avant de pouvoir en faire quelque chose. Mais c'est très beau.

    Tu me réponds de ne pas m'en faire et me propose d'aller faire un tour dehors, prendre l'air et se changer les idées. J'opte pour le jardin des plantes.

    _ Hum, je doute que ce soit ouvert un 25 décembre.

    Je le regarde, effronté.

    _ Et alors ?

    Je vois tes yeux pétiller alors que tu me traites de crapule en me passant encore une fois la main dans les cheveux. J'en profite pour quémander un câlin que tu me donnes volontiers. Après tout, l'avantage d'être encore à peine adolescent, c'est qu'on a encore le droit d'agir en bébé sans que les gens ne trouvent ça trop bizarre, alors autant en profiter et me noyer chaleureusement dans ton odeur.

    Et puis c'est Noël et j'ai envie de faire de toi mon cadeau.

    Tes bras autour de moi me donnent chaud, mais pas de la même façon que cette nuit c'est plutôt comme s'emmitoufler dans le peignoir moelleux qui t'a attendu toute la journée sur le sèche-serviette après avoir passé une heure à pied sous une pluie glacée en vêtements d'été.

    Je me sens bien, juste comme ça, une de tes mains dans mon dos, l'autre dans mes cheveux_ comme d'habitude_ et ta joue posée dessus. J'ai l'impression n'existe plus que par les battements réguliers de ton cœur sous mon oreille.

    _ Je sais ce que c'est, Théo. Mais ça va aller, c'est juste un mauvais moment à passer. Tu verras, ça ira mieux demain.

    Tu me berces doucement, mon visage enfoui dans ton cou, et j'ai de nouveau honte de moi. Tu me donnes toute ta gentillesse, sans arrière pensée, juste pour consoler un môme perdu le jour de Noël. Et moi j'en profite avec des tas d'arrières pensées.

    Je m'écarte de toi, à regrets ; c'est mieux comme ça. Si j'ai envie de pleurer, ce n'est pas à cause de la défection de ma mère, c'est parce que j'ai envie de t'aimer et que je ne sais pas quoi faire de cette envie. Alors je la cache tout au fond et je prends un air faussement enjoué.

    _ Et si on y allait ?

    .

    Hum, j'aurais peut-être du penser à la distance avant de proposer le jardin des plantes. Il est vrai que j'avais l'habitude d'y aller parce que j'habitais tout près.

    Durant le trajet, nous parlons un peu de tout et n'importe quoi, les livres qu'on aime, les derniers films vus au cinéma, ou à la télé. Plus je parle avec toi, plus je me rends compte que nous avons des goûts communs, et pas qu'en musique. Même en cuisine, nous sommes aussi fan l'un que l'autre de la tarte aux oignons, de la tartiflette et des crêpes aux champignons ; dans l'ordre évidemment.

    Nous arrivons devant les grilles, effectivement, elles sont fermées. Je t'entraîne vers la droite, deux rues plus loin, une portion de mur en réfection nous offre de très bonnes prises pour passer de l'autre côté.

    _ Tu fais ça souvent ? » t'enquiers-tu alors que nous retombons plus ou moins souplement sur le gazon de l'autre côté.

    _ Pas vraiment, mais un peu plus avant que nous ne déménagions, l'ambiance à la maison était devenue infernale depuis que maman voyait ouvertement son amant.

    Puis tu me suis le long des allées, je délaisse la roseraie, peu intéressante en cette saison, pour me diriger vers la 'grotte' qui sert de transition entre la partie jardin botanique et celle terrain de jeu / mare aux canards du parc.

    Il n'y a pas de canards, ils doivent être au chaud blottis quelque part sous les fourrés qui bordent l'étendue d'eau. Nous passons les jeux pour les petits et allons vers les constructions en rondins dans lesquelles ont l'habitude de s'ébattre les jeunes du coin.

    Je m'amuse à faire balancer le pont suspendu et rit ris de te voir agrippé à la corde, je cesse quand même lorsque tu vires au vert pas mûr. Puis on s'installe en haut du toboggan, j'apprends avec surprise que tu n'es jamais venu ici. Moi je venais à chaque fois que quelque chose n'allait pas, souvent les six derniers mois de cohabitation, le parc est bien assez grand pour se trouver un coin où j'ai l'impression d'être seul au monde.

    Parfois ça fait du bien, surtout quand ceux qui devraient te protéger sont ceux-là même qui te font souffrir avec une belle indifférence.

    Toi, tu as perdu tes deux parents à quinze ans, un carambolage, ils étaient juste au mauvais endroit, au mauvais moment. Depuis, tu as passé deux ans en famille d'accueil, puis t'es retrouvé seul à dix-huit ans, sans un sou ; tes parents avaient des dettes, donc pas d'héritage en vue. Ils t'ont juste laissé des galères en pagaille, deux amis qui te soutiennent de tout leur cœur et un job à mi-temps payé une misère. Sans oublier ta musique, celle qui te fait tenir quand tu te décourages, quand tu n'en peux plus de voir le peu d'argent que tu gagnes si durement englouti dans le loyer d'un taudis.

    Je ne sais pas quoi dire, mon expérience de la vie est bien trop réduite pour ne pas être complètement à côté de la plaque. Alors je me contente de me rapprocher de toi, mon bras contre le tien, t'offrir un peu de la chaleur dont tu sembles avoir besoin.

    Je t'aime, en silence.

    Je continue à égrener mes notes, mon regard planté dans le tien, à l'affût de chacune de tes expressions, chacune des émotions qui traversent ton regard. Et je crois pouvoir dire qu'elles sont positives : à la surprise due à une transition un peu audacieuse, succède de l'approbation, et une pointe de malice.

    Tu as compris alors, ce que j'ai mis dans cette composition. Et rien ne saurait me rendre plus heureux que cet éclair qui vient de traverser ton visage ; ce « c'était donc ça ! » qui traduit le parfait accomplissement que j'ai réalisé de ton œuvre.

    Je lâche les dernières notes au milieu d'un silence neigeux et n'ai même pas le temps de réagir que je sens tes bras autour de moi, que ton odeur m'envahit de nouveau. Toujours la même, toujours tant aimée.

    Je ne m'y noie qu'un instant avant de m'écarter doucement, à regrets.

    « Tu m'as manqué » me dis-tu. Toi aussi tu m'as manqué, ô combien.

    ...

    C'est finalement le froid qui nous pousse à nous lever et reprendre notre balade. Nous ressortons de la zone de jeu pour entamer le tour du 'lac' où barbotent les canards, et parfois deux cygnes absents aujourd'hui.

    Vaincus par le vent glacé, nous finissons par prendre le chemin du retour quand ton portable sonne. Après une courte conversation tu m'expliques que ce sont tes amis d'hier qui te proposaient de les rejoindre pour le dîner. Comme je ne t'ai pas entendu dire quelque chose qui ressemble à un 'je ne suis pas seul' ou 'désolé je ne peux pas', j'en déduits que tu as accepté, et que je vais devoir trouver un autre toit pour ce soir, en attendant demain. Peut-être que la gare...

    _ ... gine ? Sinon j'ai vu éléphant bleu jouer du banjo à coulisse sur un monocycle.

    Tu ris de mon air d'incompréhension.

    _ Je te demandais si tu aimais les aubergines.

    _ Ah ? Euh... oui.

    _ Bien.

    Tu me frottes les cheveux gentiment et reprends ta route vers le centre ville.

    _ Pourquoi ?

    Tu te tournes vers moi et lèves un sourcil.

    _ Pourquoi tu me demandes si j'aime les aubergines ?

    _ Parce que Justine a prévu de faire un gratin d'aubergines ?

    Je baisse les yeux et rougis alors que je vois ton expression passer de la surprise à la colère blessée.

    _ Tu ne croyais tout de même pas que j'allais te laisser tomber maintenant ?! J'ai l'air si peu fiable ?

    J'en ai les larmes aux yeux.

    _ Pardon... Pardon, je...

    Tu me murmures un tendre « idiot » avant de me prendre dans tes bras.

    _ Je sais trop ce que c'est d'être livré à soi-même, jamais je ne pourrais faire une chose pareille, Théo. Jamais.

    _ Je suis désolé.

    Tu me repousses pour me tenir à bout de bras.

    _ Tu peux l'être. Mais ne t'inquiètes pas, je ne t'en veux pas. C'est difficile de faire confiance.

    Tu essuies les quelques traces d'humidité sur mes joues et me prends par la main pour m'entraîner.

    _ Allons-y.

    Avec toi ? Au bout du monde...


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